Séisme au Japon : le "big one"

Publié le par Kriek

Oh la vache.

Voilà tout ce qui me vient à l'esprit après ce que j'ai pu vivre hier, vendredi 11 mars 2011, jour du plus grand séisme jamais enregistré au Japon (magnitude 8.9 à l'épicentre). J'étais à Tokyo, j'ai ressenti l'onde de choc du séisme à une magnitude autour de 5.

Voici le récit seconde par seconde de cette histoire de fou.

14h45 - Tranquille début d'après-midi au bureau. Je suis assis à ma toute petite table, personne n'est là. On est vendredi, mon boulot de la semaine est déjà pratiquement fini, et je me tourne allègrement les pouces en pensant au week-end qui s’annonce. 

 

 

Moment X : Je perçois une petite secousse. Je me fais souvent des idées et je reste donc immobile pour vérifier qu’il s’agit bien d’un séisme.

7ème seconde : Effectivement, le sol remue. C’est toutefois très doux. Il y en avait eu une petite secousse dans le même genre 2 ou 3 jours auparavant, qui nous avait fait arracher, aux gens du bureau et à moi-même, un petit « a, jishin da » (Ah tiens, un séisme), mais c'est tout. Cette "pré-secousse" était toutefois la première depuis mon arrivée, et comme il est rare qu'un aussi grand laps de temps se passe sans rien, c'est plutôt mauvais signe.

14ème seconde : Ça traîne en longueur et je sens que ça s’intensifie un peu. Je reste sur mes gardes.

20ème seconde : On entend quelques petits craquements, et les murs qui remuent commencent à faire le petit « couic-couic » caractéristique en ces circonstances. Je cherche à faire quelque chose, sans savoir quoi.

26ème seconde : Je commence à trouver que ça devient sérieux, les secousses commençant à me faire légèrement perdre l’équilibre. J’essaie de me glisser sous mon bureau, mais la chaise, trop près de celui-ci et bloquée par un mur derrière, me coince au niveau du torse. Je bats frénétiquement des bras pour me dégager de cette position ridicule, et me rassieds sur la chaise. Je crois que c’est là que j'ai commencé à flipper.

32ème seconde : On entend les gens dans le hall d’accueil qui commencent à crier. J'essaie de me lever de la chaise mais les secousses commencent à vraiment être fortes. Je commence à me rappeler de l’Ikebukuro Bôsaikan et de son simulateur. La pièce est pleine d’étagères et de bibliothèques, et je crains de m’en prendre une, aussi entreprends-je de me réfugier dans le seul endroit accessible rapidement, c’est-à-dire sous le bureau de ma collègue absente.

36ème seconde : Je suis en position de l’œuf sous le bureau et j’essaie de garder tant bien que mal l’équilibre. Les lumières clignotent, les chaises de bureau valdinguent toutes seules, des livres et des objets commencent à tomber des étagères. Le séisme produit un grondement sourd. Je me sens mourir.

46ème seconde : J’entends des cris dans le hall d’accueil et des étudiants qui dévalent quatre à quatre les escaliers pour sortir. Ni une, ni deux, je décide que je serai plus en sécurité dehors et tente le tout pour le tout. Je me lève, débranche d’un coup ma prise d’ordinateur au passage pour éviter l’incendie, et me précipite hors du bureau en titubant, vérifiant vaguement que rien ne risque de me tomber dessus en chemin.

 


52ème seconde : Tout le monde est massé dans le jardin, le plus à l’écart possible des bâtiments alentour. La secousse est plus supportable dehors et commence à se calmer un peu, mais il est difficile de rester debout.

+ 1 minute : La secousse se calme pour laisser place à un balancement doux mais continu, à la manière d'un bateau. Les étudiants sont à moitié en état de choc, et je n’en mène pas non plus beaucoup plus large, les jambes en coton et constamment agité de tremblements. Pour ne rien arranger, il ne fait pas très chaud dehors (6 ou 7°) et mon blouson est à l'intérieur. Les plus "anciens" au Japon de mes collègues, et les Japonais eux-mêmes, avouent qu'ils n'ont jamais ressenti de secousse aussi forte à Tokyo. 

 

 

+ 3 minutes : Alors que pratiquement toute l’école est évacuée dans le jardin, une réplique arrive, pratiquement aussi forte que la première, avec un grondement sourd. Les arbres se balancent. De dehors, les vitres de l’établissement vibrent dangereusement et menacent de se briser. Les bâtiments autour sont également source de forte inquiétude. Un paratonnerre se décroche sur le toit. Je suis de nouveau le trouillomètre à zéro.

+ 5 minutes : Les tremblements se calment. Pas trop de dégâts visibles aux alentours.

+ 8 minutes : Les élèves veulent rentrer chercher leurs affaires, mais on est obligés de l'interdire pour l'instant. Après inspection, certains murs ont commencé à se fissurer. La radio est allumée dans le jardin, une dame à la voix de sucre récite toutes les consignes de sécurité sur une musique au piano. Des hélicoptères survolent la zone, seul son au milieu de la ville où il règne un silence de mort. Les blagues entre collègues vont bon train, une manière d'exorciser un énorme stress à peine dissimulé. Certains étudiants s'asseoient dans la pelouse, l'air désespérés.
Tout le monde essaie de téléphoner, mais les réseaux sont soit coupés, soit saturés. Ceux qui possèdent la 3G parviennent toutefois à envoyer des messages.


+ 11/12 minutes : La seconde réplique fortement redoutée arrive à son tour. Elle reste toutefois assez légère, ne dépassant pas 3 ou 4 de magnitude. Elle s’arrête assez vite. La direction essaie de contacter l’ambassade avec un téléphone satellite.

+ env. 30 minutes : L’ambassade prévient que tout va bien de leur côté, et qu’il y a peu de chances qu’une grosse réplique arrive à présent. Sous de strictes conditions, les apprenants sont autorisés à aller chercher leurs affaires. J’en fais de même. Entrant dans le bureau, je vois un peu de boxon par terre mais rien de bien grave. Je rassemble tout de même mes affaires en sixième vitesse, tremblant comme une feuille. Le bureau me fait peur. Je ressors en courant avec toutes mes affaires, mais une fois dehors, même si mon manteau et mon écharpe me permettent de me réchauffer un peu, je ne me sens vraiment pas bien.

+ 40 minutes : Beaucoup d’effervescence dehors. Ceux utilisant la 3G arrivent à accéder aux informations ; la magnitude est affichée à 8.4 à l'épicentre. Incrédulité générale. "Mais c'est pas possible, combien c'était à Kôbe en 95 ?" "C'est plus que celui de 1923 ?" "Si c'est vrai ça sera un record..." Certains commencent à évoquer des failles dans les routes, des tsunamis gigantesques.

Mon directeur me congédie, l’école est impraticable tant qu'une inspection n'a pas été faite. Mais en ces temps de forts séismes, la circulation des trains et métros est systématiquement interrompue. La brasserie est ouverte pour abriter ceux qui habitent trop loin, les autres tentent tant bien que mal de faire des groupes pour rentrer avec les rares possesseurs de voitures, ou de partager les vélos. Pour ma part, l’idée de faire tout le chemin jusqu’à chez moi à pied ne m’enchante guère mais je ne parviens pas à trouver de coéquipier qui remonte vers le nord-ouest. 

 

 

+ 1 heure : J’ignore quoi faire, j’ai très sérieusement mal à l'estomac et j’ai la bouche sèche en contrecoup de la frayeur que j’ai eue. Je pense rentrer à la brasserie dans un premier temps. Mais ne voulant plus rester là, je décide finalement de tenter le tout pour le tout et de me rendre à pied jusqu’à chez moi…

Je ne me doutais pas encore de l'ampleur de l'évènement.

(Suite...)

Publié dans Situation dégradée

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N
<br /> au remarque, ça me fait aussi penser à 24h chrono.. !!<br /> <br /> <br />
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K
<br /> <br /> Y'en a.<br /> <br /> <br /> <br />
N
<br /> hihi, bah le côté aventure, sensasion, avec une impression d'un long voyage comme une grande aventure...on pourrait appeler cela: "le voyage de krieg " où un simple changement de quartier devient<br /> une aventure ^^.<br /> <br /> prochaine aventure, "クリーグの発見する便所" où coment placer ses fesses pour utiliser benjo. ^^<br /> <br /> <br />
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K
<br /> <br /> Avec vidéo à l'appui ? Chouette je commence de suite ! <br /> <br /> <br /> <br />
N
<br /> ça à un petit côté "tintin et milou au japon".. j'imagine que c'est plus simple d'en parler après que pendant avec la peur au ventre....<br /> <br /> <br />
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K
<br /> <br /> Ah ? Pas vu <br /> <br /> <br /> En quel sens ?<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> Ciao Pietro!<br /> <br /> Bon alors, che bordel? J'ai vu les images, les articles, les vidéos, c'est vraiment apocalyptique chez toi! Je suis l'info heure par heure et j'ai bien peur que l'ambassade vous embarque fissa<br /> direction Paris! Et la centrale nucléaire qui fait des siennes en plus, ça commence à faire là! J'attends la suite de ton article. D'ici là, reprends des forces et profites-en pour faire une cure<br /> de Desproges! ;)<br /> <br /> <br />
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K
<br /> <br /> Salut toi !<br /> <br /> <br /> Bah pour l'instant, comme je le dis, non c'è niente a Tokyo à part quelques incendies dus au gaz mais rien de très grave. Je ne suis pas à Sendai (heureusement que j'ai pas accepté le poste<br /> là-bas !) sinon effectivement, j'aurais rapidement pensé à un rapatriement...<br /> <br /> <br /> Tant qu'il n'y a pas accident nucléaire, pas de raisons de s'affoler. Je regarde ça de près, mais je trouve les médias français pleins d'un alarmisme extrême qu'on ne retrouve pas ici. Vabbene,<br /> vabbene (però, i miei pantaloni si ricorderanno) <br /> <br /> <br /> <br />